4. Penser avec ses sens, la communication de l’esprit (fr)

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a. La pensée en image

Il est commun de placer une barrière solide entre les sens et la pensée, les sens correspondent, dit-on, à des parties bien définies dans le cerveau. Effectivement, lors d’expérience en laboratoire, si nous sentons quelque chose, une zone de notre cerveau s’éclairera. Peut-être activera-t-elle également une partie de notre mémoire, car elle nous rappellera l’un ou l’autre événement, mais c’est tout. Il est prétendu que l’on pense, et surtout que l’on ne peut penser qu’avec le langage, c’est même devenu une évidence philosophique. Je vous invite pourtant à la remettre en doute, car les autistes pensent bien en images, et ont généralement une très bonne intelligence spatiale.

Citons à nouveau Temple Grandin :

Penser avec le langage et les mots m’est une chose étrangère. Je pense totalement en images. C’est comme regarder différentes cassettes avec un enregistreur de vidéo-cassettes dans mon imagination. Je pensais auparavant que tout le monde pensait en images, jusqu’à ce que j’aie questionné de nombreuses personnes différentes à propos de leurs processus de pensée.
J’ai mené un petit test cognitif informel sur beaucoup de personnes. Il leur était demandé de se servir de leur mémoire concernant des clochers d’églises ou bien des chats. Un objet qui n’était pas dans l’entourage immédiat de la personne devait être utilisé pour ce processus de visualisation. Quand je fais cela, je vois dans mon imagination une série de « vidéos » de différentes églises que j’ai vues ou de chats que j’ai connus. Beaucoup de personnes « normales » verront une image visuelle de chat, mais c’est un genre d’image de chat générique et généralisée. Ils ne voient le plus souvent pas de séries de « vidéos » de chats distincts ou d’églises, à moins qu’il ne s’agisse d’artistes, de parents d’enfant autiste ou bien d’ingénieurs. Mon concept de « chat » consiste en une série de « vidéos » de chats que j’ai connus. Il n’y a pas de chat généralisé. Si je continue à penser à des chats ou à des églises, je peux manipuler ces images « vidéo ». Je peux mettre de la neige sur le toit de l’église, et imaginer à quoi le terrain de l’église ressemble au cours des différentes saisons.
Certaines personnes accèdent à leur connaissance « chat » en tant que langage auditif ou écrit. Pour moi, il n’y a pas d’information basée sur le langage dans ma mémoire. Pour accéder à une information parlée, je rejoue une « vidéo » de la personne en train de parler.

Si je partage parfaitement ces observations, mes conclusions ne sont pas forcément les mêmes.
Penser avec des mots, c’est un peu comme voyager avec une fusée. La lumière des feux de votre fusée, placés comme pour une voiture à l’avant, voyagera beaucoup plus vite, et vous, avec vos mots, vous avancerez à la traine derrière elle. Et si penser avec les sens était un peu comme penser à la vitesse de la lumière ? Evidement la communication de la pensée se fera à la vitesse de la fusée, mais cela ne signifie pas que la pensée, par image ou plus généralement « la pensée sensorielle » donc, n’est pas plus rapide.

C’est très simple à expliquer : même les grands poètes ont de grandes difficultés à décrire les lumières, les sons, les musiques, les odeurs, et les sentiments. Vous auriez bien du mal à décrire une musique avec des mots, et quand bien même vous y arriveriez, la description manquerait de consistance, et elle serait infiniment plus longue que la musique elle même. De plus, il va sans dire que, pour décrire cette musique, vous utiliseriez des métaphores sensorielles et sentimentales. Vous diriez par exemple : cette musique soulève le cœur. La musique vous parle, sans aucun mot. Vous la recueillez avec vos sens, et vous la pensez avec vos sens.
Un autre point est le suivant : pour décrire la musique, il vous faudra alors décrire ce que vous ressentez en l’écoutant, vous n’aurez aucune autre possibilité que de décrire ce que vous pensez. Les sensations, les perceptions, sont les choses les plus intimes qu’il soit, il est bien humain de vouloir les garder pour soi. En plus de la vitesse ralentie de la communication, il y a l’intimité des sensations, ces deux éléments étant liés l’un à l’autre, la communication n’allant justement pas assez vite car elle n’est pas ressentie, elle est une sorte de traduction douloureuse perpétuelle.

b. La théorie de l’esprit

A ces deux éléments (la sensorialité envahissante et la pensée sensorielle) s’ajoute un troisième pour comprendre l’autisme : ce qu’ils ont nommé la théorie de l’esprit. De nombreux autistes, en tout cas les enfants, qui n’ont pas encore appris, semblent avoir des difficultés a comprendre, pour caricaturer, que les autres personnes ne sont pas en eux, et qu’ils ne sont pas dans les autres personnes, en ce qui concerne les perceptions. Au test suivant :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Théorie_de_l’esprit

“Maxi et sa maman sont dans la cuisine, ils rangent le chocolat dans le réfrigérateur. Maxi part rejoindre ses amis pour jouer. Pendant son absence, sa maman décide de préparer un gâteau. Elle prend le chocolat dans le réfrigérateur, en utilise une partie et range le reste du chocolat dans le placard. Plus tard, Maxi revient, il veut manger du chocolat. Où Maxi va-t-il chercher le chocolat ?”

Ils auront tendance, instinctivement, à répondre « dans le placard ». A mon avis, il faut être prudent face à cela, et c’est pourquoi j’ai ajouté « tendance » et « instinctivement ». La plupart des personnes autistes vont apprendre que cette réponse n’est pas la bonne, et ce, dès leur très jeune âge. Ce qui est important, est que cette réponse n’ira pas de soi, en tout cas au même point que pour les personnes dites « normales ». Si cet exemple est très limité, cela signifie, en moins sensationnel, en pratique et dans la vie réelle, pour les enfants comme pour les adultes autistes, qu’ils auront tendance à penser que les autres voient ce qu’ils font et lisent ce qu’ils pensent. C’est cela qui fait d’eux des personnes généralement assez morales et droites. C’est un peu comme si Dieu les regardait, et comme ci, de toutes façons, les autres ont la possibilité de savoir ce qu’ils pensent, ce qu’ils font, ce qu’ils croient, et ce qu’ils ressentent.
De la même façon, instinctivement, et en l’absence d’intellectualisation de la situation, ils auront tendance à penser que les autres pensent comme eux et ressentent les mêmes choses qu’eux dans la même situation. C’est cela qui fait d’eux parfois de grands naïfs. Si eux ne pensent pas mal, pourquoi les autres le feraient ?